Le pays connait aujourd’hui une impunité telle que la conscience professionnelle et la morale ont cessé d’habiter dans les cœurs. Le guinéen est devenu expert en détournement, il est devenu égocentrique, méchant et inconscient. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un regard scrutateur sur le fonctionnement des services publics. Sous la première république, malgré l’insuffisance du salaire, le fonctionnaire d’alors était mu par un degré élevé de conscience professionnelle. Il agissait conséquemment pour éviter de tomber dans la tentation du détournement. On se souvient encore de cette terrible opération de contrôle dénommée « vérification des biens ». C’était le moyen le plus dissuasif des opérations de malversation. Quiconque était pris dans cette attitude devenait la risée du peuple, il était sévèrement sanctionné avec toute la rigueur des textes de loi.
Nombreux sont les fonctionnaires radiés de la fonction publique à cause de détournements de deniers publics. Durant toute cette période de la révolution, il y avait certes quelques velléités mais, les coupables étaient sanctionnés à la dimension de leur forfaiture. Pour ne pas exposer sa famille aux critiques du quartier et du voisinage, les agents de l’Etat de cette époque s’en méfiaient réellement.
Cette morale et cette conscience ont disparu avec l’arrivée au pouvoir des militaires. Par ignorance et par incompétence, les nouveaux dirigeants ont mis en cause les acquis de la première république. Leur mépris pour la révolution a été transformé en dédain pour tout le système politique et social. Sans en mesurer les conséquences, le mot « Liberté » a été naïvement lancé et mal compris par le peuple, par ceux là-mêmes qui en étaient instigateurs. Au lieu de liberté on a assisté à un libertinage, un laisser-aller dans lequel tout était permis. Comme le disent les chansonniers, le pays vaut ce que vaut son chef. Le Général CONTE lui- même disait-il pas : « nous sommes venus pauvres, si vous nous voyez dans de belles voitures, c’est que nous aurons volé ». Ainsi les caisses de l’Etat ont été confondues aux poches des parvenus du pouvoir. Dans la plus grande impunité et dans l’impuissance totale de l’Etat d’exercer son pouvoir répressif, le détournement des deniers publics s’est institutionnalisé.
L’arrivée de la troisième république avait redonné espoir au peuple à cause des mesures annoncées. La moralisation de la gestion publique, l’unicité de la caisse sont entre autres des mesures salutaires. Mais c’est sans compter l’esprit diabolique des cadres guinéens. Ces mesures ont été faites pour les pauvres car, les parvenus du nouveau pouvoir continuent dans la plus grande insolence et dans la plus grande impunité à se couler la vie douce. Les méthodes de détournement sont raffinées pour contourner les mesures en vigueur. Tenez- vous bien, tous les départements ont un système de gestion centralisé du budget de fonctionnement. Quand on octroie un montant aux structures déconcentrées, supposons cent millions, le département vous demande de remonter soixante millions. Les quarante autres millions doivent servir à l’exécution des projets auxquels les cent millions étaient destinés. Alors on demande à ces malheureux de fournir le justif pour l’utilisation des cent millions. Et tous les départements ministériels du pays fonctionnent de la même manière. Quand un ministre agit de la sorte, les autres chefs de services auront-ils peur de les imiter ?
Il y a aussi le détournement intelligent qui s’effectue à travers les multitudes d’ateliers de formation ou des séminaires. Pour de telles activités, on vote toujours un budget pour leur réalisation. Mais dans la gestion de ces montants, les malhonnêtes cadres agissent négativement sur le dû des participants. Les nuitées ne sont pas prises en compte, le travail devant se faire en cinq jours est ramené à trois. On se précipite à faire signer à blanc des fiches de paiement, jamais les participants n’ont réellement bénéficié de tous les avantages liés à ces activités. Il n’y a pas de suivi ou de restitution de ces ateliers ou formations car les fonds alloués à ça sont détournés au sommet.
Il y a aussi le détournement technique, aujourd’hui on se plaint de la mauvaise qualité de nos routes, on se soucie peu de savoir comment elles sont faites. Quand un entrepreneur bénéficie d’un marché, il y a toute une chaine de saprophytes qui attendent les dessous de table. Or l’entrepreneur comptabilise tout ce qu’on lui soutire pour le faire répercuter sur la réalisation du projet. Aussi avec les ouvriers indélicats par exemple on demande à un conducteur de rouleau compacteur de faire quinze tours de compactage, on lui donne en conséquence le prix du carburant nécessaire à cela ou le carburant même. Il fait alors sept tours au lieu de quinze, soutire le carburant du réservoir ou prend le reste de l’argent pour son intérêt personnel. Les missions de contrôle qui viennent sont complices elles aussi car après avoir reçu un pot de vin, elles refusent de dire la vérité sur les travaux.
Mais à quoi sert un Etat s’il n’est pas à mesure de sauvegarder les intérêts du peuple. L’Etat est la puissance publique, il a des moyens dissuasifs, coercitifs répressifs. Pourquoi alors continuer à garder des cadres véreux incompétents décriés par toute la population ? Pour quelle raison, notre peuple continuera à subir l’insolence de ces cadres dans l’indifférence totale de l’Etat ? Pour quelle raison protéger ces malfaiteurs, ennemis de la nation ?
A ces questions, essayons de trouver une véritable approche de solution pour nous extirper de cette impasse !
Famany Condé, notre correspondant basé à Kindia
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