La singularité des événements et leur non reproduction à l’identique est le propre de l’historique.
Tribune. Celui-ci se veut en outre capable de nous fournir des matériaux illustratifs d’événements extraordinaires, dont il vaudrait mieux éviter une occurrence contemporaine, tellement leur réalité historique fut atroce, morbide, dévalorisante sur le plan identitaire, et consécrateurs d’un naufrage de l’humanité. La traite des noirs est de cet acabit et, l’Afrique, du triste gotha des terres meurtries par l’exploitation de l’homme par l’homme.
Qui aurait pu imaginer qu’en 2017, l’Afrique dont le sang huila la machinerie du système mercantiliste, pouvait à nouveau vivre la traite des Noirs, non du fait d’un ailleurs qui entre chez elle par effraction et impose l’homme comme combustible à la production de la richesse capitaliste, mais au-dedans d’elle-même ? Oui, en 2017, des Africains du Sud du Sahara font l’objet d’une vente aux enchères publiques en Libye. A qui la faute ?
Depuis 1963, les textes fondateurs du panafricanisme exaltent la libération du continent, mais restent cois sur les droits inaliénables du nouvel Homme africain
Certains, avec raison, évoqueront la destruction de la Libye et sa livraison au totalitarisme jihadiste, suite à l’assassinat de Kadhafi par l’Otan. D’autres, non moins fondés, insisteront, tant sur les rendements humainement décroissants d’une Europe forteresse, sur la démocratie à la canonnière de Bernard-Henri Lévy, que sur les accords léonins entre l’Italie et l’actuel Far West libyen. Mais, volens nolens, cet écheveau de causes, aussi robuste qu’il puisse être, n’épuise pas la problématique de la faillite anthropologique que représente la résurgence de la traite des noirs en Afrique en 2017.
L’idée de l’Union africaine, à notre humble avis, souffre dès ses origines d’un déficit d’un projet anthropologique fort. Depuis 1963, les textes fondateurs du panafricanisme exaltent la libération du continent, mais restent cois sur les droits inaliénables et les droits aménageables du nouvel Homme africain. La conséquence de cette aboulie anthropologique dans le panafricanisme, est qu’un continent qui a fait l’expérience de la traite arabe pendant sept siècles et celle du commerce triangulaire pendant cinq siècles, n’ait pas dans la charte de son projet de renaissance, des engagements sacro-saints qui interdisent de façon contraignante l’esclavage, et assortissent cette interdiction de dispositifs contraignants qui s’imposent de façon supranationale à tous les Etats.
La situation en Libye est le résultat de la fuite des conditions de vie indignes par la jeunesse africaine
Un portrait-robot du nouvel Africain après l’esclavage et le colonialisme, aurait pu constituer un moteur pour une politique anthropologique intra et interafricaine, capable, non seulement d’épurer l’Afrique de nombreux systèmes traditionnels qui pérennisent de nos jours l’esclavage, mais aussi, d’orienter la gouvernance africaine vers des politiques qui améliorent en priorité la vie des Hommes.
Cela va sans dire, la situation en Libye est le résultat de la fuite des conditions de vie indignes par la jeunesse africaine. Et le déficit anthropologique de l’UA saute encore plus aux yeux lorsqu’on se rend compte que pas un seul sommet n’a été organisé, ni pour traiter des milliers d’Africains engloutis par la Méditerranée, ni pour faire des contre-propositions à l’accord entre la Libye et l’Italie.
Espérons qu’un jour la médiocrité anthropologique de l’Union africaine lui sera insupportable, et que de cette situation, naîtra une révolution au sens d’action autonome d’une communauté d’Hommes qui se donne à elle-même des institutions de dignité et de liberté humaine, afin que, tout le reste, de surcroît, soit donné aux peuples africains.
L’Afrique en 2017 ne rend pas l’Africain fort de sa fierté d’être Africain
Quelles sont les conditions de possibilités de ce qui se passe en Libye en 2017 ? C’est une Afrique où le pouvoir des Africains ne sert pas la paix anthropologique de l’Africain, mais le pouvoir de rester au pouvoir pour le pouvoir, une Afrique où le besoin d’autonomie n’est pas assez grand pour refuser le financement de l’UA par l’UE, une Afrique où la mobilité sociale est plus faible en 2017 qu’en 1960, une Afrique où les régimes sont en odeur de sainteté avec les institutions traditionnelles d’esclavage, une Afrique où la jeunesse est prête à payer de sa poche pour se faire esclave en Occident, une Afrique où hommes, femmes et enfants préfèrent leur engloutissement dans les abysses de la Méditerranée à la vie qu’ils mènent dans leurs propre continent.
L’Afrique en 2017 ne rend pas l’Africain fort de sa fierté d’être Africain, elle lui fait rêver sa vie ailleurs, et le force à payer cet ailleurs au prix fort.
JeuneAfrique
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