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La réconciliation nationale et perspectives

Dans le cadre de sa mission pour « le renforcement de la cohésion nationale et la poursuite du processus de réconciliation nationale » annoncée à l’article 2 de sa Charte, le gouvernement de la transition guinéenne pourrait s’inspirer de l’expérience de l’Afrique du Sud sous feu Nelson Mandela, ancien président de ce pays.

À cette époque Madiba avait initié la création d’une Commission de la vérité et de la réconciliation (CVR) qui était présidée au départ par le prix Nobel de la paix Desmond Tutu. Cette commission avait pour but de recenser toutes les violations des droits de l’homme commises d’une part, par le régime d’apartheid depuis le massacre de Sharpevilke en 1960, où 69 manifestants noirs avaient été froidement abattus par la police sud-africaine, et d’autre part, par les mouvements de libération nationale comme l’ANC, le parti de Madiba. L’objectif étant de permettre une réconciliation nationale entre les victimes et les auteurs d’exactions. Cela avait duré pendant deux ans (de 1996 à 1998). À notre avis, les autorités guinéennes pourraient demander une collaboration de leurs homologues sud-africains pour les aider à élaborer la démarche à suivre pour le bon fonctionnement d’une telle commission.

En ce qui concerne spécifiquement la Guinée, le recensement des crimes devrait remonter jusqu’en 1970, notamment après l’agression armée de la Guinée par les portugais. Car c’est notamment à partir de cette date que les complots parfois vrais et parfois faux ont début en Guinée, avec leurs lots de crimes commis à l’encontre de bon nombre de guinéens au nombre desquels figuraient plusieurs intellectuels.

À part l’Afrique du Sud, il y a aussi l’exemple du Rwanda après le génocide qui peut nous inspirer en Guinée. Le processus engagé au Rwanda sous le leadership de son président Paul Kagamé avait permis une réconciliation entre les survivants du génocide et ceux qui l’ont perpétré.

Parmi les mesures préconisées par les rwandais il y avait un encadrement strict du discours public. En effet, jusqu’à maintenant les Rwandais ne peuvent parler publiquement d’ethnicité que dans des circonstances strictement définies par l’État, par exemple pendant la semaine nationale de deuil organisée en souvenir du génocide. En dehors de ces contextes, l’Etat n’autorise aucune discussion publique sur la violence faite aux Rwandais de toutes ethnies, avant, pendant et après le génocide.

L’État rwandais promeut l’unité nationale et la réconciliation de multiples manières. Il encourage la mémoire collective du génocide sur des lieux de mémoire et dans des cimetières collectifs, afin de montrer le résultat final des divisions ethniques. Des commémorations annuelles marquent la semaine de deuil national (du 7 au 14 avril), dans le but de rappeler aux Rwandais les « pernicieux effets du divisionnisme ethnique » selon les termes employés par la Commission chargée de la réconciliation nationale, le National Unity and Reconciliation Commission (NURC).

De plus, l’État a adopté de nouveaux symboles nationaux (drapeau, hymne et emblème) en 2001, parce que les précédents dixit la commission, « symbolisaient le génocide et encourageaient une idéologie génocidaire et divisionniste ». Dans le cadre de la restructuration administrative du Rwanda en 2006, le gouvernement a changé divers noms de lieux à tous les échelons administratifs (des villages aux provinces), afin de ne pas rappeler aux survivants l’endroit où leurs proches étaient morts. En outre, la Constitution révisée de 2003 a criminalisé les allusions publiques à l’identité ethnique (article 33) ainsi que le « divisionnisme ethnique » et « la banalisation du génocide ».

Voilà autant d’exemples qui pourraient servir de point de départ au gouvernement de transition pour la restauration de l’unité nationale et le renforcement de la paix et la quiétude entre les différentes composantes de la population guinéenne. Toutefois, la réussite d’une telle démarche dépendra beaucoup de l’implication des victimes et de leur sincérité à vouloir, sans forcément oublier le passé, mais accepter de pardonner.

Dès lors, des journées commémoratives et de réflexion seraient organisées autour des dates qui ont marqué la commission de crimes ignominieux comme ceux du 28 septembre 2009, où plus de 150 guinéens ont été massacrés et des femmes violées. Mais aussi pour immortaliser certains moments douloureux où des violations graves et flagrantes des droits des individus et des collectivités ont été commises, telle la répression violente par les forces de défense et de sécurité des manifestations organisées par le Front national de défense de la Constitution (FNDC) pendant les campagnes de protestations contre le projet de troisième mandat d’Alpha Condé, ancien président honteusement déposé le 5 septembre dernier.

De même, quelques espaces publics seraient créés comme lieux de retrouvailles pour commémorer les victimes d’exactions. Des monuments seraient également érigés sur ces places publiques et les noms des victimes seraient gravés dessus. Inévitablement, tout cela ne se fera que grâce à la mise en place d’une Commission nationale de réconciliation des Guinéens et Guinéennes.

Cela demandera des ressources humaines de qualité et des ressources matérielles importantes. L’État, à travers le système judiciaire, devra garantir les libertés fondamentales et appliquer les lois à l’encontre de tout contrevenant. Des comités de surveillance seront formés pour dénoncer toute violation des droits ainsi que tout abus de pouvoirs. L’État garantira une allocation financière aux familles des victimes à titre d’indemnisation. Enfin les résultats issus des travaux de cette commission seront compilés et intégrés dans les programmes d’éducation nationale en vue d’être enseignés aux enfants pour entretenir notre mémoire collective et pour empêcher la répétition de crimes de masse en Guinée.

Évidemment, ce processus, comme ce fut le cas en Afrique du Sud et au Rwanda, prendra du temps. Mais il est nécessaire de le faire une bonne fois pour toutes afin d’assurer à la Guinée un avenir apaisé et durable.

Mohamed Sacko

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