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Putsch contre Embalo, Alpha Condé…Cedeao : «A partir de ce moment un autre cap pourra être fixé pour réconcilier», Bah Oury

Comment sortir de la spirale des coups d’Etat dans l’espace CEDEAO ? L’expulsion de l’ambassadeur de France à Bamako aura-t-elle des conséquences sur l’action militaire française dans la lutte contre le terrorisme au Mali ? 

Dans une interview accordée à Africaguinee.com, BAH Oury, acteur politique guinéen livré son analyse. Le leader du Parti UDRG pointe du doigt l’attitude complaisante de la CEDEAO vis-à-vis de certains chefs d’Etat qui s’imposent par la force. L’ancien ministre de la réconciliation a aussi interpelé la junte malienne, qui vient d’expulser l’ambassadeur Joel Meyer. « Aduler la France en 2013 et la conspuer en 2022 en applaudissant la Russie est contreproductif pour les intérêts du Mali à moyen et à long terme », prévient Bah Oury. Entretien exclusif.

AFRICAGUINEE.COM : Après le Mali, la Guinée, le Burkina Faso, un coup d’Etat militaire a failli renverser Umaru Sissoco Embalo mardi 1 er février 2022. Comment expliquez-vous cette situation ?

BAH OURY : Chaque pays présente des situations qui lui sont spécifiques. Toutefois il faut constater que la faiblesse de la CEDEAO suite à sa complaisance coupable en faveur du Pr Alpha Condé face aux mouvements pacifistes des populations pour s’opposer au changement anticonstitutionnel pour l’obtention d’un 3éme mandat en dépit d’une féroce répression a déçu les forces démocratiques de l’Ouest-africain. L’organisation régionale a étalé la même indifférence face à la complainte du peuple malien mobilisé au sein du M5. Là aussi la répression contre les manifestants n’avait pas ému les représentants de la CEDEAO. En d’autres termes les pouvoirs établis peuvent s’imposer par la force pour confisquer le pouvoir politique.

L’existence du protocole additionnel de bonne gouvernance de la CEDEAO et de la charte de l’UA sur la gouvernance, les élections et la démocratie n’a poussé ces organisations africaines à assumer leur responsabilité conformément à leur mission. Ainsi, les violences des Etats ont étouffé les contestations démocratiques et civiles en les noyant dans le sang. Ceci a amené les coups de force militaires comme étant les seuls en mesure de venir à bout de ces régimes notamment en Guinée et au Mali. La faiblesse du leadership du Président Roch Kaboré en butte à la poussé djihadiste où son armée a payé un lourd tribut a exaspéré les militaires qui ont décidé d’abréger son maintien au pouvoir. La tentative de coup d’Etat contre le Président Umaru Sissoco Embalo est d’une autre nature. La longue crise politique due à l’adoption d’un régime semi-présidentiel où la majorité reste fragile d’une part et la persistance des activités des narcotrafiquants d’autre part mettent à rude épreuve la stabilité gouvernementale de la Guinée-Bissau.

Bien que les situations et les contextes différent dans les pays, mais ne peut-on parler d’effet domino ?

Le discrédit dont souffre la CEDEAO encourage bien entendu des tentatives de prise de pouvoir par des coups d’Etat. L’effet domino est surtout manifeste par la propagation des mouvements terroristes asymétriques de type djihadiste. Ces mouvements essaiment du Sahel en passant par la région du Lac Tchad jusqu’aux confins de la Corne de l’Afrique et de l’Océan Indien (Mozambique). Actuellement des risques pèsent sur les pays côtiers du Golfe de Guinée et de l’Atlantique.

Visiblement ce 4éme coup d’Etat dans l’espace CEDEAO a échoué. A votre avis cet échec pourra t’il avoir un effet dissuasif dans d’autres pays dans la sous-région où l’armée a souvent tendance à s’incruster dans le jeu politique. Je parle notamment du Niger et de la Côte d’Ivoire ?

Il est évident que des dispositions spéciales seront prises par les autorités du Niger et de la Côte-d’Ivoire en relation avec leurs partenaires internationaux pour prévenir toute aventure militariste pour conquérir le pouvoir.

Ces coups d’Etat et tentatives en cascades ne témoignent-ils pas dans une certaine mesure l’échec de l’élite politique dirigeante dans cet espace en proie à une insécurité grandissante ?

C’est vrai. Les coups d’Etat à répétition traduisent un dysfonctionnement structurel de la nature et du fonctionnement des institutions nationales dans le pays, y compris l’institution sécuritaire et militaire. Le cycle politique qui avait démarré avec les conférences nationales du début des années 90 a atteint sa phase déclinante depuis un certain temps dans la plupart des pays africains. Le multipartisme intégral et les élections multipartites avec des CENI peu ou prou inféodées au pouvoir en place n’ont pas permis l’enracinement de pratiques démocratiques et l’émergence d’une véritable citoyenneté.

Toutefois il y a des exceptions au niveau des pays anglophones qui s’illustrent positivement dans les règles de l’alternance démocratique et de la solidité des institutions.  Les politiques nées du multipartisme ont mis aussi en lumière de réelles contradictions au sein des sociétés africaines par l’exacerbation des contradictions ethniques à travers la primauté de l’ethno-stratégie. Les expériences du parti unique et du multipartisme telle qu’il s’est manifesté n’ont pas permis la réalisation des attentes et des aspirations des populations. Entretemps les risques climatiques et sécuritaires se sont amplifiés et la pauvreté s’est élargie. D’où un profond désenchantement contre les élites politiques dirigeantes qui symbolisent la faillite nationale et l’absence d’empathie à l’égard des plus pauvres.

Comment sortir de cette spirale d’instabilité institutionnelle en Afrique de l’Ouest ?

La stabilisation institutionnelle est également un processus qui n’est pas automatique. Toutefois il est primordial d’avoir des équipes au pouvoir, patriotes, engagées pour le redressement et la transformation économique et sociale de leurs pays, adeptes d’une gouvernance vertueuse et crédible et enfin ouvertes sur le monde. A partir de ce moment un autre cap pourra être fixé pour réconcilier les ouest-africains avec la politique et le développement.

Les relations diplomatiques entre Paris et Bamako se sont drastiquement dégradées ces dernières semaines. Les passes d’armes ont abouti à l’expulsion par le Gouvernement Malien de l’ambassadeur de France. Comment comprenez-vous cette escalade ?

Les autorités de la transition à Bamako sont à la recherche d’une « légitimité » auprès du peuple malien. Elles se trouvent également confrontées à la fois au désir de durer au pouvoir et à l’obligation de marquer des points dans la lutte contre les mouvements djihadistes qui gagnent du terrain. L’appel du Mali à la France de François Hollande en 2013 a été accueilli avec chaleur et ferveur par les Maliens et aussi par une majorité des ouest-africains. Cette présence des troupes de l’Opération Serval a empêché l’effondrement de l’Etat malien.  Or les facteurs de la déliquescence de l’Etat n’ont pas mobilisé la classe politique malienne afin que celle-ci se remette en cause afin de changer de paradigme en termes de gouvernance institutionnelle, de cohésion nationale, de réconciliation nationale et d’intégration de tous les maliens du Nord comme du Sud. Le pouvoir d’IBK a été de ce point de vue défaillant.

Les populations se sont retrouvées abandonnées. Au Centre du Mali, elles sont entre deux feux, l’armée et des groupes de milices d’un côté et les groupes djihadistes de l’autre. A la longue, la France est devenue le bouc émissaire de la détérioration de la situation sécuritaire. Dans ce contexte les autorités maliennes se réfugient dans une logique d’exacerbation du sentiment nationaliste et souverainiste pour mobiliser la population à la fois contre la CEDEAO et contre la France. Il est plus aisé pour elles d’alimenter un sentiment de défiance vis-à-vis de la France. Bien entendu l’impopularité des sanctions prises par la CEDEAO contre la junte avec ses conséquences sur l’ensemble de la vie économique et sociale a permis à la junte de redorer son blason auprès de son opinion. Toutefois cette « victoire à la Pyrrhus » sera lourde de conséquences pour le Mali et pour la région.

Quelles conséquences ce bras de fer peut-il avoir dans la lutte contre le terrorisme au Sahel ?

Le positionnement de la junte malienne en tournant le dos à la France au profit d’un renforcement de la coopération militaire avec la Russie ou avec Wagner est un renversement stratégique majeur. L’expulsion de l’ambassadeur de la France suite au renvoie du contingent danois de la force européenne Tabuka par les autorités de la transition est considéré par les autorités de Paris comme une quasi-rupture. Par conséquent la lutte anti-terroriste en est d’ores et déjà affecté. Il est logique de penser que le dispositif militaire Européen sera déplacé vers le Niger principalement. L’arrivée de la Russie au Sahel place le Mali au cœur de la guerre froide entre l’Est et l’Ouest. La lutte anti-terroriste prendra une autre nature et risque d’amplifier les conflits communautaires pour transformer le Mali en un nouvel Afghanistan au cœur du Sahel.

Maints observateurs estiment que « conspuer la France et applaudir la Russie » est un jeu dangereux ». Etes-vous de cet avis ?

Le Mali est dans la crise depuis très longtemps. La transformation du Nord-Mali en un no-mans-land où les narcotrafiquants et les djihadistes chassés de l’Algérie ont pu y élire domicile est une responsabilité de l’Etat malien. Le coup d’Etat du Capitaine Sanogo contre le Président ATT à 3 mois de la fin de son second et dernier mandat a précipité la perte de la souveraineté sur le Nord malien. En d’autres termes le Mali est dans une profonde crise structurelle du fait d’une mauvaise gouvernance et en plus la nature néo-patrimoniale et prédatrice de l’Etat accentue les difficultés internes. Seuls les maliens sont en mesure de reconstruire leur pays sur de nouvelles bases novatrices. Cet effort nécessite de se remettre en cause et de changer de paradigmes. Ainsi aduler la France en 2013 et la conspuer en 2022 en applaudissant la Russie est contreproductif pour les intérêts du Mali à moyen et à long terme.

A suivre…

Africaguinee.com

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