Manager d’artistes et fondateur de « Tera Music », Abdourahime Diallo vient de boucler une session de formation à l’endroit de plusieurs artistes guinéens. Des thématiques liées au -fonctionnement de l’industrie musicale, aux fondamentaux du droit d’auteur, la musique à l’ère du digital-, ont été abordées lors de la formation. Cet acteur de la culture plaide pour une meilleure organisation des artistes en vue de leur permettre de tirer de manière optimale les fruits de leurs productions. Dans cet entretien, il évoque les difficultés auxquelles les artistes sont confrontés et préconise des pistes de solutions.
AFRICAGUINEE.COM : Vous venez de boucler une série de formations que vous avez organisé à l’endroit des artistes musiciens et acteurs de la culture. Qu’est-ce qui a prévalu à cette initiative ?
ABDOURAHIME DIALLO : Ces derniers mois nous avons organisé des formations à l’endroit des acteurs culturels, parce qu’on a vu qu’il y avait un besoin nécessaire d’aider à la compréhension de notre industrie, non seulement par les acteurs eux-mêmes, mais aussi par des personnes qui évoluent autour du microsome de l’industrie musicale. Que ce soit des artistes, des producteurs ou des managers. Avec les Studios Kirah, nous avons monté un programme de formation sur l’industrie musicale qui comprenait quatre (4) modules :
Le fonctionnement de l’industrie musicale,
Les fondamentaux du droit d’auteur,
Un contrat sur la musique
La musique à l’ère du digital.
Le monde a évolué, le mode de consommation l’est aussi. Avec la percée de l’internet, le digital est en train de prendre une grande part dans les revenus générés par l’industrie musicale. L’idée, c’est vraiment d’outiller les producteurs, permettre aux artistes de comprendre c’est quoi un droit d’auteur, comment le rendre effectif pour qu’ils puissent en tirer profit.
En Guinée, les artistes (surtout musiciens) se plaignent souvent du non-respect du droit d’auteur. Parlez-nous de ce concept ?
Le droit auteur c’est ce que la loi confère à un créateur par rapport à l’œuvre qu’il a créée. Lorsque vous créez une œuvre, le législateur a prévu que la loi vous confère la paternité de l’œuvre. Il vous confère deux types de droit : le Droit moral et le droit patrimonial.
Le droit moral vous permet de protéger l’œuvre. C’est-à-dire, personne ne peut s’attribuer la paternité de cette œuvre, personne ne peut divulguer cette œuvre sans votre autorisation, et personne ne peut la modifier sans votre autorisation. C’est le droit moral, il est perpétuel, imprescriptible et incessible.
Le droit patrimonial : c’est ce droit qui vous permet de jouir des usufruits de l’utilisation de l’œuvre. Que ce soit par les médias, en boite de nuit ou sur scène, elle va générer des droits (argent) qui vous permettent de vivre de cette œuvre-là.
De quel constat êtes-vous partis pour organiser ces formations ?
On est parti d’un simple constat. Quand on discute avec les acteurs de l’industrie musicale, on a l’impression qu’on est dans un vase-clos. Les artistes ne sont pas bien informés sur le droit d’auteur. Il y a non seulement une méconnaissance du droit d’auteur, mais il y a aussi un amalgame qu’on fait parce que dans l’industrie on utilise souvent le terme ‘’droit’’.
Et le constat qui se dégage, c’est qu’on a des cas récurrents où des artistes ou des managers se crêpent le chignon parce qu’il y a un problème lié à une incompréhension au niveau de ce qu’ils doivent percevoir. C’est ainsi on s’est dit qu’il fallait aider à la compréhension de ce qui est du droit d’auteur. Un artiste, s’il signe avec un producteur ce qu’il doit gagner en retour. Parce j’ai récemment vu sur internet un artiste dire : « mon producteur ne m’a pas donné de voiture, ne me loge pas » alors que ce n’est pas le rôle du producteur. Son rôle c’est de vous prendre et d’envoyer en studio, de fixer votre voix sur un support qui est aujourd’hui le fichier numérique qui peut être cassette ou CD et de le vendre.
Tout ce qui vous lie, c’est ce que vous percevez de la vente de ces supports. Ensuite, vous avez l’autre partie qui est le droit d’auteur, qui, plus l’œuvre est diffusée, plus elle doit générer de l’argent qu’une société de gestion collective en l’occurrence le BGDA (bureau guinéen des droits
d’auteur) doit vous verser pour l’utilisation de vos œuvres dans l’espace public. Il fallait donc expliquer ces points pour permettre aux artistes de comprendre où ils doivent tirer des revenus de leur travail. C’est toutes ces raisons qui nous ont motivé à organiser ce programme de formation.
Qu’est-ce que vous avez compris du rapport entre le BGDA (bureau guinéen des droits d’auteur) et les artistes ?
Nous avons compris qu’il y a un rapport conflictuel qui émane de l’incompréhension des uns et des autres sur le principe de gestion des droits d’auteur. J’aime souvent le dire : le droit d’auteur c’est comme les impôts. La collecte est faible parce qu’il n’y a peut-être pas de la transparence au niveau de la répartition. C’est comme les impôts, parce que si les gens s’acquittent de leurs impôts et que sur le terrain il n’y a rien, les gens seront réticents à payer des impôts. Le droit d’auteur aussi c’est comme ça. Si vous vous inscrivez dans une société de gestion collective, au BGDA et que vous ne déclarez pas régulièrement vos œuvres, (parce qu’on a compris qu’il y a des artistes qui ne savaient pas qu’il faut déclarer à chaque fois qu’ils ont des nouvelles œuvres), c’est compliqué. Nous sommes aujourd’hui dans un système des œuvres de collaboration.
Dans ce système, la paternité de cette œuvre appartient à tous ceux qui ont travaillé ou aidé à sa création. Il fallait donc expliquer tout ceci et lever certains amalgames.
Donc, le problème est conflictuel parce qu’il y a un niveau d’incompréhension du système de gestion des droits d’auteur. Il fallait donc expliquer et dire aux gens si vous créez une œuvre et que vous ne la déclariez pas vous pouvez bénéficier du droit moral, mais l’usufruit, l’argent, parce que la loi autorise seulement le BGDA à aller récupérer de l’argent chez les utilisateurs, vous ne pouvez pas aller vous-même le faire. C’est ça aussi le principe de la gestion collective. Il fallait expliquer ça et les gens ont compris.
Avec cette évolution numérique, comment selon vous, les artistes pourront-ils tirer profit de leurs œuvres ?
Avec la digitalisation, le malheur est que la principale plateforme qu’est la plus utilisée en Afrique n’est pas assez rémunératrice, parce que c’est You tube. Mais il y a d’autres plateformes africaines qui sont en train d’être développées, et qui viennent, avec la percée de l’internet, les revenus augmentent pour les artistes et tous ceux qui travaillent autour de l’industrie musicale.
Cependant, il y a des préalables. On est dans une ère de digitalisation, on parle des métadonnées. C’est des éléments qui, pour qu’on puisse vous identifier il va falloir remplir un label copies, créer l’extrait de naissance de votre œuvre pour que quand votre distributeur digital va réclamer des royalties aux différentes plateformes de streaming, que les données puissent vous identifier et dire que cette œuvre appartient à telle personne. Il faut maitriser l’environnement digital pour que cela puisse vous générer plus de revenus. Si l’extrait de naissance de votre œuvre n’est pas bien fait, ce n’est pas facile pour les plateformes digitales de vous reverser vos droits.
Parlant du BGDA, vous avez souligné qu’il y a une gestion conflictuelle. A votre avis qu’est-ce qui devrait être fait ?
A ce niveau, il faut qu’en repense à notre situation collective. En quoi faisant ? Il faut réorganiser la gouvernance de la société de la gestion collective, y apporter plus de transparence, plus de digitalisation. Il y a énormément de boulot à faire. En exemple, la nouvelle loi qui a été votée en 2019 n’est pas encore appliquée parce que le décret d’application n’a pas encore été pris. Depuis trois ans, nous continuons à attendre le décret d’application. Il faut donc commencer à réorganiser le côté institutionnel de l’institution, y apporter de la transparence. Parce qu’il faut savoir, le BGDA appartient aux artistes, lorsqu’un artiste décide de confier ses œuvres au BGDA, c’est comme s’il en devenait actionnaire. Il faut qu’il y ait de la transparence pour que les artistes sachent effectivement comment ça fonctionne ? Combien ont été récoltés ? Combien ont été repartis ? combien sont allés dans les frais de gestion ? En réorganisant la gestion et l’apport de la transparence va amener les esprits à avancer sur d’autres chantiers qui sont énormes.
Votre programme de formation va s’étendre jusqu’où ?
C’est un projet en cours. Pour cette première session, nous avons ciblé la zone spéciale de Conakry et Labé. On est en train de voir avec les studios Kirah comment réorganiser les prochaines sessions. C’est couteux mais il est primordial de former les acteurs sur l’industrie dans laquelle ils évoluent. Je pense qu’il faut apporter un appui à ce type d’initiative pour permettre d’avoir une large diffusion de la connaissance du secteur.
Un dernier message ?
Ce que je pourrais rajouter, dans tout secteur, il faut qu’il y ait une synergie d’actions, parce que l’Etat a plusieurs choses à faire, beaucoup de problèmes à résoudre. Pour qu’il (l’Etat) prenne en compte notre problème, il faut qu’on lui propose des solutions pour qu’il nous aide à ce que notre secteur soit organisé. Pour cela, il faut des associations fortes, des fédérations. Donc, il faut fédérer tout le monde. On a tous intérêt à ce que le secteur marche parce que s’il ne marche pas, c’est une poignée d’individus qui vont s’en servir au détriment des autres, parce que ce sont eux qui maitrisent mieux le domaine.
Il faut donc que le secteur soit organisé pour que chacun puisse profiter de la manne financière qui se dégage de la musique. Vous imaginez, lorsqu’un concert est organisé à un endroit, tous ses vendeurs débrouillards à côté vont en profiter. Chacun va connaitre une hausse de son revenu durant ce concert. C’est une économie circulaire que l’Etat doit prendre en compte et la propulser.
Par Africaguinee.com
Commentaires récents