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Guinée : « Les citoyens préfèrent se rendre justice eux-mêmes »

Lynchages publics, immolations par le feu, mutilations… les Guinéens se rendent de plus en plus justice eux-mêmes. En cause, le manque de crédit qu’ils accordent à leur justice. Le procureur général près de la Cour d’appel de Kankan (Est), Me William Fernandez, insiste sur la nécessité d’une sensibilisation massive sur la question.

Jeune Afrique : Les vindictes populaires meurtrières ont toujours existé en Guinée. Mais on a l’impression que le phénomène s’accroît…

William Fernandez : Il prend effectivement de l’ampleur. D’une manière générale, les citoyens préfèrent se rendre justice eux-mêmes. C’est devenu une véritable problématique sociétale. Dès qu’elle soupçonne qu’un crime a été commis en son sein, le premier réflexe de la population est de régler elle-même ses comptes. Dans cette furie, des individus sont sauvagement battus ou brûlés.

Dès qu’elle soupçonne qu’un crime a été commis, le premier réflexe de la population est de régler elle-même ses comptes

Citons quelques exemples…

Les cas sont divers. Fin 2015 à Kouroussa, à 85 km à l’ouest de Kankan, une foule en colère a pénétré dans la prison sans que les surveillants, débordés, ne leur opposent de résistance, pour s’emparer de prisonniers suspectés du meurtre d’un chercheur d’or. Ils ont été battus et brûlés vifs.

Cela a pris des proportions inquiétantes dans la préfecture de Siguiri, située à la frontière malienne et connue pour ses nombreux orpailleurs traditionnels. Il y a moins d’un an, la population recherchait le meurtrier d’un chauffeur de moto-taxi. Au même moment, deux jeunes, interpellés pour un autre crime, étaient acheminés vers la prison par les forces de l’ordre. Pensant tenir les coupables, les habitants les ont attaqués et brûlés, là aussi.

Cas plus grave encore à Faranah, à 200 km à l’ouest de Kankan : un automobiliste employé d’une ONG a percuté un bœuf et demandé à un enfant dans les parages de le conduire jusqu’au propriétaire de la bête. Un témoin de la scène a couru raconter à tout le monde dans la cité que l’enfant a été enlevé. L’automobiliste a fini assassiné dans des conditions barbares.

Comment expliquer ce phénomène ?

Les Guinéens ressentent un gros déficit de confiance en leur propre justice. À cela, on peut ajouter un profond manque de civisme. Pour ce qui est du manque de confiance, il faut reconnaître qu’il est légitime. Notre justice part de très loin, mais de nombreuses réformes ont été menées et d’autres sont encore en cours de réalisation.

Le manque de confiance des Guinéens dans la justice est légitime

On a toujours reproché sa lenteur à notre justice, bien que ce ne soit pas une spécificité guinéenne. Dans l’ancienne administration judiciaire, tous les crimes étaient traités en Cour d’assises. Un dossier pouvait traîner pendant quatre à cinq ans pour les cas les plus élémentaires. Les améliorations du nouveau code pénal permettent désormais de passer par le tribunal de première instance, et de réduire le temps de traitement à moins d’un an pour les affaires les plus complexes.

Mais concernant un phénomène aussi ancré dans les moeurs et le manque de moyens de la justice, la réforme du Code pénal suffit-elle ?

C’est vrai que l’administration pénitentiaire manque cruellement d’effectifs pour faire face aux situations telles que celles citées plus haut. Grâce à la réforme, nous travaillons à une gestion plus efficace de nos ressources humaines. Quoiqu’il en soit, il faut une réponse rapide à ce genre de comportement criminel. Mais au vu de la gravité de la situation, la seule action judiciaire ne peut pas suffire. Le gouvernement doit prendre ce problème à bras le corps.

J’ai proposé de mener une tournée de sensibilisation nationale et massive. Car pour nos citoyens, dont le quotidien est réellement difficile, cette justice aveugle n’est pas à condamner. S’ils gardent l’impression que l’État ne peut ni les protéger ni rendre la justice, alors ils s’en occuperont eux-mêmes. L’État doit absolument restaurer son autorité sur toute l’étendue du territoire, en faisant des exemples par la stricte application de la loi et allant au contact de la population.

source: Jeune Afrique

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